Platon aurait-il prévu cette dictature ?

Nous autres, citoyens français, vivions sous un régime démocratique, c’est-à-dire un régime où la liberté prime sur toute autre considération et, surtout, sur toute forme de tyrannie, d’oligarchie et d’aristocratie. Cela va sans dire, et il serait déplacé, voire inconcevable, de mettre en cause cet état de fait, afin d’évoquer, ou pire, de promouvoir, une autre idée de gouvernance. La démocratie seule doit être préservée, coûte que coûte. Il n’y a pas d’alternative, et c’est heureux !

Pourtant… ce matin en me réveillant, je sens que de lourdes chaînes à l’acier inflexible maintiennent et mutilent mes jambes, mes bras et mes mains. Je ne comprends absolument pas ce qu’il se trame. Que se passe-t-il ? M’approchant de la fenêtre, j’aperçois les oiseaux voletant çà et là entre les branches d’arbres et par-dessus les toits des maisons voisines. Rien n’a changé. Alors pourquoi ai-je la sensation d’être emmuré comme je ne l’ai jamais été ? Naturellement, même si je ne suis encore informé des actualités du jour, je sais ce qu’il se passe hors de ma geôle. J’ai compris qu’un virus, le SARS-CoV2, sévit et frappe par toute la terre, détroussant aléatoirement la vie de certains de ceux qu’il croise.

En réponse à cela, l’homme à la tête de notre régime démocratique, le Président, c’est-à-dire celui se portant garant de la souveraineté du peuple, de la démocratie, a jugé bon d’enchaîner les pieds et les mains de tous ceux qu’il a à charge. Le représentant du peuple, élu par le peuple, a décidé de se passer du peuple.

Infortuné du porte-monnaie, n’ayant nul lieu où travailler hors de ma cellule et condamné à résidence sans avoir crime commis, je consulte machinalement ma bibliothèque, un livre accapare mon attention, je l’ouvre, il s’agit du premier livre de philosophie politique de l’humanité, La République de Platon. Merveille… chef-d’œuvre de l’esprit humain, utopie indépassable qui désire organiser la cité. Je feuillète l’ouvrage du premier des grands philosophes de Grèce, fondateur de la philosophie, et mon œil atterrit sur le huitième livre où sont égrenées les définitions des divers régimes politiques possibles. Ils sont au nombre de cinq, il s’agit de l’oligarchie, de la royauté, de la tyrannie, de l’aristocratie et de la démocratie. Me rappelant, soudainement et à ma grande surprise, que l’idéal de la démocratie puisse exister de par le monde, que des hommes ont lutté et sont morts en son nom, je médite ce que « démocratie » pourrait bien vouloir dire, en toute vérité. Je m’exécute.

Démos signifie le peuple, c’est-à-dire l’assemblée des hommes dont vous et moi faisons partie, tandis que cratos signifie la souveraineté, c’est-à-dire la capacité à se gouverner soi-même. La « démo-cratie », selon le bon sens, est donc la réunion de tout un chacun en une assemblée nommée « peuple » qui se gouverne elle-même, sans qu’un tiers ne la gouverne à sa place. Mon jugement ne me trahit pas, ce mot chargé d’un sens philosophique, historique et politique, n’est pas à prendre à la légère… Il me semble que rien ne devrait pouvoir contrevenir à sa définition la plus fondamentale, celle de l’homme ayant pouvoir à s’autodéterminer selon sa volonté.

Etranglé par les lourdes chaînes invisibles qui m’accompagnent tout au long du jour maussade, je lis, nostalgique, les lignes que Platon consacrait à la démocratie il y a 2 400 ans. Il écrit : « ne faut-il pas dire que les citoyens y sont libres et que la cité laisse place à la liberté et à la libre expression ? et que dans cette cité règne le pouvoir de faire tout ce qu’on veut ? » . Je lis et relis ces phrases pour comprendre ce qu’elles veulent dire. Aurais-je mal compris la pensée de Platon ?

Si la démocratie présuppose que les citoyens y sont libres, que cela signifie-t-il, concrètement ?

Le citoyen, l’habitant de la cité, la France, s’il réside en démocratie, peut aller visiter qui il veut, où il veut, quand il veut. Et s’il ne peut faire tout ce qu’il veut, comme le dit Platon, est-il encore en démocratie ? Certainement pas, on ne pourrait raisonnablement soutenir le contraire. Le citoyen français, que je suis à cet instant, n’est donc plus en démocratie au sens le plus élémentaire du terme. En effet, si je ne peux m’autodéterminer, je ne suis plus un citoyen appartenant à une démocratie ; il s’agit d’un autre type de citoyen, vivant sous un régime autoritaire ou dictatorial, dont la possibilité d’être libre est conditionnée par un tiers, comme notre Président en fonction.

Le pouvoir ne m’appartient donc plus, il m’a été dérobé, volé. J’ai été spolié de mon bien le plus élémentaire, plus vital encore que l’air et l’eau que j’absorbe. J’ai été trahi dans ce qui m’est le plus inné et le plus familier, le pouvoir de faire ce que je veux, où je veux et quand je veux. Quel amoureux de la Liberté soutiendrait-il l’inverse ? Au nom de la Liberté, tout homme libre doit pouvoir disposer de son pouvoir et l’exercer selon son bon vouloir. Il ne peut y avoir un autre vouloir détrônant mon vouloir. Tel est l’impératif de la Liberté, il ne peut en être autrement.

En cet instant, je ne puis plus décider de faire ceci ou cela, je ne puis plus me mouvoir à ma guise, je ne puis plus penser et écrire, car je ne vois plus mes bons compagnons, ce peuple rencontré dans les cafés, sur les marchés et dans les librairies des villes et des villages de cette douce France massacrée. Je ne puis plus leur échanger un sourire, un regard ou une parole, car Dame Liberté n’est plus là. Elle m’a abandonné, ou plutôt elle m’a été confisquée, je ne puis plus la tenir… en vérité, je ne puis plus la laisser me tenir en ses bras. Le flambeau étincelant de la Grande Dame, idéal de la France d’un autre siècle et arboré fièrement, a été soufflé. Il ne brille plus à l’Est de l’Atlantique.

Privé de nos faits et gestes, chers frères et sœurs, amis, compagnons de fortune, nous sommes désespérément bâillonnés et ligotés chez nous, comme si l’on nous avait enfermé au fond d’une sombre caverne et que l’on nous empêchait de voir la lumière du jour. Fébrile, je tourne la page du livre de Platon, et qu’y lis-je encore ? « Et justement […] dans une cité de ce genre […] l’on [n’est pas] soumis au gouvernement des autres si l’on n’y consent pas. Il n’y a aucune obligation de faire la guerre, même si les autres y sont engagés, […] si on ne le désire pas » . Ce que Platon soutient, signifie-t-il que j’aurais la liberté de me soigner contre la Covid-19 avec ce qu’il me plaît, ou de ne pas me soigner si cela me sied ? Qui donc est-il celui, qui se croyant plus haut que la Liberté, me somme de m’autodéterminer ? La Liberté chuchote à mon oreille d’être libre, et non d’être soustraite ou accordée selon le bon plaisir de « Monsieur le Président ».

Je referme doucement La République de Platon.

             Je sais, désormais, que je suis un prisonnier, un homme déchu de sa Liberté… certes, mais pas un condamné !

 

William Néria est docteur en philosophie de Sorbonne Université et Ph.D. de l’Université Laval, conférencier et auteur de nombreux articles ainsi que de trois livres, dont Le mythe de la caverne. Platon face à Heidegger.

Auteur(s): William Néria, pour France Soir

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