Interview par la Rédaction

Variances n°5- 1995
Dominique Beudin, à la sortie de l’Ensae, aviez-vous un projet professionnel bien arrêté?

Pas vraiment, mais si je n’avais pas d’idée très précise sur une filière professionnelle, j’étais résolue, en revanche, à mener ma vie en arrivant à concilier activité professionnelle et vie privée. Comme beaucoup de jeunes femmes de ma génération, dans le contexte féministe de l’époque, je voulais tout réussir. Pour cela j’envisageais les choses à long terme et j’ai donc choisi de résoudre les problèmes de compatibilité entre carrière et famille en attendant quelques années avant d’avoir des enfants.

Dans quel secteur avez-vous commencé alors ?

Mon premier poste était en fait le prolongement d’un emploi que j’avais déjà occupé à mi-temps au cours de ma dernière année à l’Ensae. C’était au Centre d’observation économique de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, avec un travail de synthèse qui ne me passionnait pas à long terme. J’ai donc quitté ce premier emploi au bout d’un an, pour entrer dans le groupe Havas Eurocom en 1970.

Pendant trois ans, j’ai travaillé dans la filiale d’études de marchés, devenant assez rapidement responsable de l’équipe chargée des études quantitatives. Mais comme je ne me voyais pas faire carrière dans une société de sondages, j’ai choisi de passer du côté de la publicité, pour voir en fait ce qu’il advenait de ces études. J’avoue que j’ai été un peu étonnée par l’univers de la publicité, où régnait un empirisme assez prononcé et dont la culture professionnelle ne me convenait pas vraiment. En outre la pression sur les résultats était forte… il fallait un peu vendre à tout prix.

Vous continuez néanmoins dans le domaine de la communication en quittant Havas…

En effet, j’ai eu l’opportunité de rejoindre une société de conseil, le groupe Bossard, où l’on m’a confié un poste de chef de groupe dans la partie conseil en stratégie de communication.

De nouveau, après quelque temps, j’ai eu la curiosité d’aller de l’amont à l’aval, pour voir comment les clients utilisaient les recommandations des cabinets de conseil auxquels ils font appel. L’expérience, je dois le dire, n’a pas été un succès. J’avais été engagée comme responsable de la communication dans une société du secteur de l’immobilier, qui connaissait une assez forte croissance, mais qui n’avait pas eu le temps d’arriver à maturité. De fait, je n’avais pas les moyens de remplir mes fonctions et j’ai décidé, très rapidement, d’arrêter.

À cette occasion, je me suis interrogée sur la suite de ma carrière, pensant que je ne pouvais pas continuer dans la communication. Il me semblait que c’était un domaine qui ne permettait pas de déboucher sur les responsabilités les plus intéressantes dans l’entreprise.

C’est à ce moment que vous décidez de quitter le secteur privé pour le public?

Avant cela, comme j’avais la possibilité de suivre une année de formation, j’ai décidé de faire l’Insead, pour pouvoir revenir à des fonctions plus en rapport avec certains de mes centres d’intérêt. J’ai ainsi choisi toutes les options financières. Je pensais également qu’en accédant à des fonctions financières, j’aurais la possibilité de bénéficier d’un rythme de travail moins tendu que dans des postes opérationnels comme ceux que j’avais eus dans la communication.

Après avoir obtenu mon MBA de l’Insead, j’ai donc cherché à entrer dans une organisation internationale. J’avais un intérêt personnel assez fort pour les problèmes des pays en développement, intérêt très lié à ce que j’avais connu dans mon enfance. J’ai en effet été élevée en Afrique jusqu’à l’âge de 14 ans. Une expérience marquante, qui fait que je suis toujours restée attachée aux pays africains et souhaitais pouvoir mettre mes compétences professionnelles au service de leurs projets de développement.

C’est pour toutes ces raisons que vous intégrez alors la Caisse Française de Développement?

J’ai eu plusieurs offres intéressantes, dont certaines impliquaient une expatriation qu’il m’était difficile d’envisager. J’ai donc choisi la Caisse Française de Développement, établissement public chargé du financement de l’aide au développement, par l’intermédiaire de subventions ou de prêts à long terme. En tant qu’établissement de crédit, la Caisse est une Institution Financière Spécialisée, au regard de la loi bancaire, c’est à dire un établissement remplissant de façon permanente une mission d’intérêt public.

Quel a été votre premier poste au sein de la Caisse Française de Développement?

J’y ai commencé comme analyste financier, au sein de ce qui est aujourd’hui la division « Évaluation des entreprises ». Celle-ci a pour mission le diagnostic financier et organisationnel des entreprises bénéficiaires des concours de la Caisse.

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Figure n°1 : Dominique BEUDIN

Au bout de deux ans, comme ce poste nécessitait de partir assez fréquemment en mission, alors que je venais d’avoir mon premier enfant, j’ai demandé un poste plus compatible avec mes nouvelles responsabilités de mère de famille. J’ai pu obtenir un poste de chargée de mission pour une zone géographique. J’avais la responsabilité du Gabon, du Rwanda et du Burundi, où il y avait beaucoup de projets à l’époque. C’est un poste où j’ai appris beaucoup de choses sur le fonctionnement de la Caisse, puisque je supervisais l’évaluation économique et financière des projets dans les pays concernés, tout en assurant le suivi des risques de l’établissement.

Au terme de deux années, j’ai souhaité faire le point sur mes connaissances, les enrichir, dans la perspective de renforcer la composante technique de mes compétences. C’est pour cela que j’ai choisi d’aller travailler au centre de formation de la Caisse, le Centre d’Etudes Financières, Economiques et Bancaires ou CEFEB. J’ajouterai que j’avais également le désir de pouvoir continuer à consacrer suffisamment de temps à ma famille qui s’était agrandie.

Le Cefeb forme des cadres pour les pays en voie de développement..

Le Cefeb assure, sous des modalités diverses, une formation technique de haut niveau pour des cadres originaires des pays en développement, du secteur public plutôt mais aussi du privé. J’ai travaillé quatre ans au Cefeb, chargée des enseignements d’analyse et de gestion financière. Je dois dire que la formation est véritablement le moyen le plus efficace pour formaliser les connaissances acquises au fil des ans, et cela aura été pour moi une expérience très intéressante et très enrichissante. De plus, j’ai eu la possibilité au cours de cette période de terminer mes stages d’expertise comptable, formation que j’avais entreprise lorsque j’étais entrée à la Caisse. Je n’ai soutenu le mémoire que quelques temps après, en 1992, choisissant un sujet sur lequel je venais juste de travailler dans le cadre des fonctions que j’ai occupées en quittant le Cefeb.

Ce sont les fonctions que vous occupez actuellement?
Pas tout à fait. En 199 1, j’ai rejoint la division des systèmes de gestion et de la réglementation, au sein du département de la trésorerie et des services financiers. Ce n’est que deux ans après que j’ai été amenée à prendre la responsabilité de cette division. Cela, lorsque mon prédécesseur a été appelé à mettre en œuvre le nouveau système d’information comptable et de gestion que nous avions conçu et mis au point durant deux années, en vue de la mise en place du nouveau plan comptable des établissements de crédit.

Ce travail a été passionnant, mais aussi très prenant, car très complexe. La Caisse fonctionnait en effet avec un Plan Comptable qui datait de 1957, n’ayant pas eu à appliquer le plan comptable bancaire de 1978. La mutation était donc très profonde et il a fallu faire tout un travail d’accompagnement, de formation, des utilisateurs pour passer d’une comptabilité traditionnelle en contre-valeurs franc à une comptabilité devises.

Aujourd’hui, entre autres projets, mon équipe travaille à la mise en place d’un progiciel de gestion de la dette et nous participons à la définition d’outils de gestion des risques de taux et de change.

Voilà, cela fait donc quatorze ans que je suis à la Caisse Française de Développement. Si je me plais dans cette maison, où il y a beaucoup de gens très compétents et ouverts, je ressens quand même un peu de déception en ce qui concerne la question du développement. On constate malheureusement que les pays en développement vont sans doute le rester encore un certain temps.

En dehors de cet aspect, vous avez la satisfaction d’être arrivée à cet équilibre que vous visiez, entre vie professionnelle et vie privée?

J’ai réussi à trouver un équilibre en faisant des choix que les hommes n’ont pas à faire. Même si les choses ont beaucoup évolué, par exemple dans le domaine de l’accueil des très jeunes enfants, il n’en reste pas moins qu’une carrière de femme et une carrière d’homme ne peuvent pas se gérer de la même façon. Si j’ai choisi à un moment de travaillerdans le public, pourêtre moins soumise à la pression de l’argent, pour le dire vite, j’ai aussi choisi à plusieurs reprises des responsabilités plutôt fonctionnelles. Et cela parce qu’elles permettent plus facilement de concilier une vie de famille et une activité professionnelle.

Hommes et femmes ne partent pas à armes égales dans la vie professionnelle. Et gérer sa carrière pour une femme qui ne veut pas sacrifier une partie de sa vie à l’autre, c’est en quelque sorte arbitrer entre des priorités absolues et des priorités instantanées. On sait qu’il y a des âges limites pour certains choix et à certains moments il faut être capable de ne pas se mettre en position d’avoir à cumuler des choses qui ne sont pas compatibles. De toutes façons, je l’ai souvent constaté dans ma carrière, pour être bien dans son travail il faut d’abord se sentir bien dans sa vie. Surtout quand on a des équipes à conduire, des gens à mobiliser autour de soi…

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